Nous publions ici un document des évêques de France sur les dérives sectaires, par Sr. Chantal-Marie SORLIN, Responsable du Bureau de la Conférence épiscopale pour les dérives sectaires, juin 2014
Traduction par Ana Azanza. Texte original en français .
Cette liste de critères suit un processus comportemental en quatre étapes chronologiques :
1. Le culte de la personnalité
Les membres du groupe se sentent attirés et regroupés autour d’un fondateur à la personnalité complexe dans son parcours et ses prétentions…
1.1 La naissance du groupe
Un dysfonctionnement dans le discernement des vocations peut avoir des conséquences désastreuses. Les exemples abondent de candidats au sacerdoce rejetés dans un diocèse mais acceptés dans un autre. Il en est de même pour la reconnaissance d’une association de fidèles ou d’une communauté. De même, les évêques suisses viennent de rappeler cette exigence : « lorsque les candidats au sacerdoce ou à la vie religieuse changent de lieu de formation ou de communauté, l’information doit circuler parmi les directeurs de manière claire et précise ».
1.2 Le culte du fondateur
Il arrive dans certains groupes que le fondateur ou le supérieur prenne d’une manière ou d’une autre la place du Christ : les membres du groupe le vénèrent, le mettent sur un piédestal, lui jurent une obéissance absolue. Dieu passe directement et ne fait que passer à travers elle. Sa parole est… Parole de l’Évangile. Et ses écrits en viennent à supplanter les Écritures, qui ne peuvent bien sûr être comprises que par les explications du « maître ». Un tel investissement dans le fondateur nous permet naturellement de le proclamer « Pasteur pour la vie » (le Bon Pasteur, le bon et le mauvais Pasteur). Et bien sûr, toute révélation de la conduite scandaleuse du fondateur se heurte à la dénégation, à la dénonciation de complot et à la persécution.
1.3 En dehors du groupe, il n’y a pas de salut
Le groupe n’est pas présenté comme complémentaire à ce qui existe déjà, mais est pensé comme exclusivement alternatif. C’est par lui et seulement par lui que le salut vient aujourd’hui dans l’Église. Tout le reste de l’Église est accusé de tiédeur, d’infidélité, de modernisme. De cet élitisme découle le caractère « holistique » de ces communautés : toutes les vocations sont revendiquées dans le groupe qui se suffit ainsi à lui-même en tant qu’« arche du salut » et Église parallèle. Le groupe veut être autonome même en discernement ou en soutien : les psychologues en dehors du groupe sont le diable ! Parfois, la confession n’est forcée que devant un prêtre de la communauté, car on dit que les autres ne peuvent pas comprendre le charisme. La formation est strictement interne et met l’accent de manière disproportionnée sur la pensée du fondateur.
1.4 Au-dessus des lois
Les habitants de la « Cité Céleste » qui constitue le groupe ne sont plus du monde. Ainsi, contrairement aux mandats des évêques, il ne contribue pas au Cavimac (assurance vieillesse, maladie et invalidité pour les religieux). Sans parler des infractions au niveau économique, au droit du travail ou aux réglementations en matière de sécurité. De plus, le « cadre juridique nébuleux » du groupe expose les membres récalcitrants à toutes sortes d’abus sans qu’ils puissent recourir à quoi que ce soit ni à qui que ce soit.
2. Coupez avec l’extérieur
Suivre le leader entraîne de multiples ruptures pour ses adeptes (relationnelles, sociales, économiques, sanitaires, intellectuelles, spirituelles et ecclésiales…).
2.1 Ruptures
Ils sont multiples et enferment la recrue dans une véritable bulle totalement déconnectée de la réalité :
- l’éclatement de la famille dès l’instant où la famille pose des questions ;
- ruptures amicales ;
- rupture sociale avec changement de nom et disparition du nom de famille ;
- interruption des études, de la profession ;
- ruptures économiques : la personne cède l’intégralité de son patrimoine aux mains du groupe ;
- panne d’information : vous ne regardez pas la télévision, vous n’écoutez pas la radio ou ne lisez pas la presse ; il y a un index des lectures interdites ;
- Troubles de la santé : les psychologues sont diabolisés, les vaccins sont interdits, les médecines alternatives et la psychothérapie sont imposées, collusion avec les médecins apparentés dans la communauté.
- Rupture ecclésiale : fonctionner en dehors de la hiérarchie et de la paroisse ; méfiance à l’égard des autorités ;
- et même rupture interne entre les membres : absence de relations interpersonnelles. Devoir d’information entre les membres.
2.2 Le contrôle de l’élection des confesseurs et des directeurs spirituels
2.3 Formation défectueuse
nourrie exclusivement par les écrits du fondateur ou par une sélection tendancieuse d’auteurs. L’accent n’est pas mis sur la Parole de Dieu.
2.4 Un vocabulaire spécifique au groupe
créer de nouveaux mots ou changer le sens de mots courants.
2.5 La multiplicité des dévotions sans l’unité doctrinale
avec escalade de règles, de signes et d’ascèses de toutes sortes au gré des inspirations, des caprices et des découvertes du responsable. La présence et l’action du diable sont soulignées, d’où la fréquence des actes de libération et d’exorcisme ; La vision dualiste fait que le monde est considéré comme mauvais et toute critique du groupe comme une persécution des « saints ».
2.6 Des conditions de vie inhumaines avec des risques pour la santé physique, mentale et spirituelle
Dans ces communautés problématiques, on retrouve les mêmes carences que dans les groupes sectaires en général : carences nutritionnelles, manque de sommeil, manque d’hygiène de vie et de soins, épuisement par le travail, etc. Et si un accident se produit, l’irresponsabilité qui l’a causé est dissimulée par une interprétation complètement mystique de l’événement.
2.7 Quelle pauvreté ?
Ils vont généralement chercher de la nourriture à la banque alimentaire. Les adhérents ne sont pas affiliés à la sécurité sociale mais demandent à bénéficier de la CMU (Couverture Maladie Universelle). Le travail est pour les gens du monde mais la mendicité est pratiquée avec les « vrais » pauvres : les soucis du monde sont pour les païens… Cependant, la communauté en tant que telle n’est pas dédaigneuse des investissements immobiliers et d’autres qui nécessitent de grosses sommes d’argent.
2.8 La désincarnation
Certains groupes, par leur conception et leur système, sont allés jusqu’à rompre le lien qui unit les enfants à leurs parents : l’autorité parentale est transférée au « pasteur », les enfants deviennent enfants de la communauté ; L’image des parents est dévaluée.
Dans le domaine de la santé : l’évidence de la nécessité d’un traitement thérapeutique fait place à un slogan dangereux : « Le Seigneur nous guérit, nous avons foi en lui ! »
2.9 Le painisme et le culte de la souffrance
Les difficultés – objectives – rencontrées sont sublimées par l’invitation au sacrifice. La réponse à ces questions est la suivante : « Dans la souffrance, tu portes la croix qui sauvera tes amis ; tu t’es retrouvé avec la croix, donc tu es sur le bon chemin, très proche de Jésus ; vous souffrez, alors vous grandissez en combattant vos faiblesses ; Vous souffrez parce que votre conversion est encore insuffisante. « Si vous ne pouvez pas le supporter, c’est parce que vous ne priez pas assez ; Tu ne t’es pas assez oublié. Il est nécessaire de prendre en compte la grande proportion de personnes qui ne sont pas en bonne santé dans certains groupes : dépression, tentatives de suicide, suicides, déclenchement ou aggravation de maladies psychiatriques.
3. Manipulation
La manipulation multi-visages vise non seulement à attirer des membres, mais aussi à les fidéliser.
3.1 Prosélytisme
Les membres du groupe quittent leur citadelle pour aller convertir les autres qui sont censés tous vivre dans l’ignorance et l’erreur. L’autre n’est pas un objet d’intérêt ou de curiosité, ni une promesse d’enrichissement. L’autre n’est vraiment accepté que lorsqu’il est renié dans sa différence et sa contribution. Il n’est intéressant qu’en tant que converti potentiel.
3.2 Obtention de vocations
Vous devez séduire et attirer les gens dans la communauté. Le recrutement est rapide, le gibier chassé est généralement jeune et inexpérimenté. Si la personne recrutée pose certaines questions, le groupe la presse de savoir que le doute vient du diable. Tout cela est contraire au canon 219 du Code de droit canonique : « Tous les fidèles jouissent du droit de n’être soumis à aucune obligation dans le choix d’un état de vie. »
3.3 Confusion du for externe et du for interne
Dans sa sagesse, l’Église recommande une distinction entre le for interne et le for externe, entre les rôles de confesseur et de directeur spirituel, et la fonction de supérieur. Cependant, nous nous rendons compte que la confusion des deux rôles est monnaie courante. De la même manière, le conseil ne doit jamais être fait à l’intérieur d’une communauté ou d’une association chrétienne, afin de préserver la liberté des individus et de réduire les abus de pouvoir, les luttes d’influence, le risque de consultation, la remise en cause du secret de l’accompagnement spirituel, les maladresses et les indiscrétions diverses qui se fondent rapidement dans un cercle restreint. Si le même sujet gère les positions importantes de la communauté, le suivi spirituel et psychologique, et même la confession, on peut deviner l’influence qu’il peut avoir sur les gens. Cette distinction entre le public et le privé est encore minée par la mode de la « transparence », ou en d’autres termes, par les aveux publics. Sous le couvert de la fraternité et de la compassion, la personne est moquée dans son intimité et forcée à une sorte d’exhibitionnisme psycho-spirituel, c’est-à-dire à une violation psychique.
3.4 Exigences particulières
On l’entend souvent : ne dites jamais du mal du fondateur ou d’un supérieur, et dénoncez immédiatement quiconque viole ce vœu. Aussi de l’unité : toute critique (c’est-à-dire la moindre interrogation légitime ou la moindre pensée personnelle), toute désobéissance, mettant en danger la fraternité.
3.5 Le secret imposé comme règle absolue
Puisque la fonction de ces associations est censée être le service de l’Église, tous les membres devraient être autorisés à converser librement et ouvertement avec les membres de la hiérarchie, chaque fois que cela est nécessaire. Quand nous faisons de bonnes œuvres, nous n’avons pas peur de la lumière. Cependant, il est parfois interdit aux fidèles de parler à l’évêque local parce qu’ils sont considérés comme incapables de comprendre le charisme… De même, toute la documentation interne qui doit rester cachée est disponible.
3.6 Mensonges, tromperie et dissimulation
La dissimulation peut se faire dès le début, c’est-à-dire pour obtenir une approbation (la documentation présentée aux autorités et la documentation « interne » à laquelle les membres eux-mêmes n’ont pas accès sont différentes). Ensuite, même lorsque l’autorité parvient à pénétrer le fonctionnement du groupe, elle s’efforce de perturber la surveillance et les actions prises pour assainir la situation.
3.7 Autoritarisme du patron et soumission des membres
L’obéissance — c’est même une question de soumission — est élevée à la dignité d’une vertu plus grande, et elle l’est inconditionnellement et sans limites, beaucoup plus forte que dans une communauté religieuse traditionnelle. Cependant, l’obéissance authentique n’est ni autoritarisme ni infantilisation, l’obéissance passe par des médiations et non par des baguettes magiques du type « Dieu m’a dit »… Les « petits leaders » peuvent être envahis par un certain plaisir à conseiller et à ordonner les autres. Patronage spirituel.
3.8 Toute interrogation vient du malin
« J’ai décidé de partager mes doutes et mes questions avec le fondateur. Sa réponse a été courte et précise : « J’ai l’impression que vous ne faites plus partie de la communauté. Onze années de vie commune, de foi commune, ont été balayées par ces quelques mots écrits sur un bout de papier. Dans ce système de certitudes, il ne pouvait y avoir ni doutes ni questions. Répondre aux doutes, c’était reconnaître la possibilité d’en avoir. L’exclusion était la seule réponse. L’Antiquité, l’engagement solennel pour la vie, les sacrifices consentis, l’énergie donnée sans compter ne comptaient pour rien…
3.9 Humiliation et culpabilité
Le rebelle, celui qui demande n’a jamais bonne presse dans une communauté déviante. Et en général, elle paie cher ses pitreries par l’humiliation et la culpabilité : « S’expliquer, c’est se méfier de r… la dépression est le reniement de Dieu… Aimer, c’est descendre dans la boue… Se taire, c’est aimer… La tension est le seul fruit de notre méchanceté… Se reposer, ce n’est pas aimer assez… Se plaindre, c’est être égoïste… se défendre, ce n’est pas être docile à l’Évangile. Ceux qui ne tombent pas dans la soumission silencieuse, et qui donc prennent des risques, contaminent ceux qui les entourent, c’est pourquoi ils sont purement et simplement licenciés. À l’intérieur, ils sont calomniés de la tête aux pieds : le rebelle est un Judas. La dynamique relationnelle avec le groupe est simplifiée à l’extrême : soumission ou exclusion. La négociation verbale est impossible, nous sommes dans l’absolu ou rien. L’autre est réduit à l’état d’objet : il est assimilé, absorbé ou rejeté. Il ne peut pas être le sujet d’un discours et, par conséquent, un interlocuteur dans le dialogue. En effet, un mot différent, suscitant ainsi le doute, crée de l’anxiété dans le groupe et met en branle les mécanismes de défense que ces exclusions expriment. Au sein du groupe, l’altérité est insupportable.
3.10 Quitter
- Dans quelles conditions ? Toute sortie fait déjà de vous un pécheur devant les autres membres. Personne ne parlera au traître. Et comme l’adepte avait rompu avec toute sa connaissance ancienne, il se trouve seul.
- Dans quelles conditions économiques ? Est-ce ce qu’il a donné en retour à son arrivée, est-ce qu’on lui a donné ce qu’il a mis dans la boîte commune ? Après avoir abandonné une profession, après avoir travaillé pendant des années bénévolement bien sûr et sans sécurité sociale, celui qui part est nu comme Job… Cependant, le canon 702 §2 du Code de droit canonique stipule que l’institut doit garder l’équité et la charité évangélique envers le membre qui se sépare de lui.
- Dans quel état physique et mental ? La vie a été si difficile que la personne est écrasée. Certains subissent de graves destructions psychiques : combien de dépressions, combien de tentatives de suicide, combien de suicides ! En fait, les personnes qui quittent le groupe se sentent coupables, finissent par avoir un sentiment d’échec total.
- Dans quelle condition spirituelle ? Certains gardent la foi, parce qu’avant cette expérience malheureuse qu’ils viennent de vivre, ils ont vraiment rencontré le Christ. Beaucoup ne veulent pas en savoir plus sur l’Église ou la religion…
4. L’incohérence de la vie
Lorsque l’on regarde de près la vie des « gurus », il y a une grande distance entre les paroles et les actes en termes d’argent, de pouvoir et de morale.
4.1 La « vie extraordinaire » des fidèles
Au niveau de la charité, son attitude laisse généralement à désirer envers les plus faibles, envers les personnes dont la situation économique a changé, envers les autres membres de l’Église, etc.
Le fondateur doit être soumis aux mêmes règles et constitutions ordinaires qui s’appliquent dans la communauté… !
4.2 Argent
- Mise en commun des biens : Compte tenu du manque de stabilité qu’offre la vie moderne et de la probabilité que les membres quittent la communauté après quelques années, il est avantageux de conserver les biens d’un membre jusqu’à son décès, de sorte que s’il décide de partir, ces biens peuvent lui être restitués lorsqu’il quitte la communauté. Mais quand il part, l’ancien membre part souvent nu comme Job, quand le Code de droit canonique parle d’équité. Nous comprenons que dans ces conditions, il y en a beaucoup qui, même lorsqu’ils sont lucides pour voir les défauts, n’ont ni la force ni les moyens de partir.
- L’exploitation du travail des partenaires.
- La gestion financière doit toujours être honnête et transparente. Cependant, certains groupes maîtrisent l’art de la propriété fictive dans des sous-associations, des associations à l’écran
- Donations et collecte d’héritages.
4.3 Autres
Il y a aussi des crimes dans les groupes sectaires, et des crimes typiques : pédophilie, viol, attouchements, éphébophilie…
En conclusion, un seul critère, bien sûr, ne peut pas suffire à qualifier un groupe de communauté sectaire. Seul un ensemble de critères permet de prendre conscience du caractère pathologique d’une communauté ou d’une association. Mais il est en effet surprenant de voir combien de symptômes décrits se répètent aujourd’hui dans un certain nombre de groupes. D’ailleurs, tous ces excès que nous venons de constater dans certaines communautés catholiques sont finalement identiques à ceux que l’on trouve dans les groupes sectaires en général. Les trois tentations du pouvoir, de l’avoir et d’en jouir sont tout à fait universelles.
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